Le vieillissement du corps, deux poids deux mesures suivant le sexe. Avant quarante ans tout va bien. Mais le nombre quarante s'impose au genre féminin comme un malheur dû à son sexe, une condamnation. Le jour de mes quarante ans j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps... Dèjà, à compter de mes trente ans mon cerveau s'est mis en état d'hypervigilance. Aujourd'hui, tout ce qui est relatif à mon âge sonne comme une menace, la menace du temps qui passe, qui laisse des traces et qui jamais ne s'effacent. C'est une vraie pression psychique de moins en moins supportable, comme une humiliation, puisque visible. Pourtant, impossible de se dérober à ce foutu temps qui passe...
D'où vient ce mal être qu'est ce sentiment que la femme n'a pas le droit de vieillir ?
De notre culture saturée de stéréotypes agistes, assurément. S'il est vrai que nul n'échappe au vieillissement, lorsqu'il s'agit de celui des femmes, la société se montre cruelle avec pour complices le cinéma, les médias, la publicité et tous supports de l'image... Ceux que l'on nomment les miroirs de la société ne réfléchissent que des images de femmes belles à l'extrême jeunesse ou de femmes vieillissantes dans leur rôle de grand-mère quand elles ne font pas des confitures ou du tricot ! Comment une femme entre deux âges peut-elle trouver son reflet dans le regard de notre société ?
J'ai compris que j'étais devenues une femme entre deux âges le jour où chez "Nocibe", la jolie petite vendeuse de vingt ans m'a tendue des échantillons de crèmes anti-âge plutôt que des échantillons de parfums. Je l'ai regardée droit dans les yeux, mon regard bleu est devenu très sombre et j'ai pensé en moi-même : "Ton tour viendra, connasse !". Mais docilement j'ai pris les échantillons... C'est alors que peu à peu la femme de quarante ans se retrouve confrontée à certaines phrases censées être des compliments : "Tu ne fais vraiment pas ton âge !" ; "Ah bon ! 44 ans ! Tu ne les fais vraiment pas !" ou encore "Tu es une très belle femme, pour ton âge." Au début ça froisse un peu. Puis peu à peu, on se raccroche à ces phrases qui ponctuent notre quotidien. Parce que ces "compliments" eux non plus ne sont pas éternels. Car les années passent, et la condamnation de la femme est de glisser vers une non-existence en même temps que les années s'additionnent. Comme si notre obsolescence était programmée.
Une question me taraude... A quel âge une femme devient-elle un objet périssable ? Est-ce lorsque son superpouvoir de devenir invisible dans la rue s'affirme ? Comment remédier à ce questionnement quand nous vivons dans une société qui associe jeunesse à la féminité ? Les femmes sont des denrées consommables donc périssables. Le naufrage des femmes dû à leur "âge" n'est pas imputable au phénomène de vieillissement, non, mais au conditionnement d'une société aux fonctionnements ainsi qu'aux modes de pensées toxiques. La femme n'est que faire valoir sans individualité, elle doit se battre pour exister. Si la vie d'un homme est faite de preuves, la vie d'une femme est faite d'épreuves.
Toute ma vie, parce que je suis un peu jolie, parce que j'ai porté des décolletés, parce que je réponds à certains critères de beauté que la société nous impose à nous les femmes, j'ai dû prouver que je suis aussi intelligente. Encore aujourd'hui dans le domaine artistique qu'est la photographie cela me poursuit (malgré mes quarante-quatre ans !). Toute ma vie a été ponctuée de ce combat : oui je suis un peu jolie, certes, mais j'ai un cerveau, regardez ! Double peine même, car s'il a fallu que je persuade les hommes de mon intelligence qui ne les intéressait pas, il m'a fallu surtout conquérir mes homologues, les autres femmes. Les convaincre que je peux être autre chose que superficielle puisqu'aux yeux de certaines, je suis juste bonne à... Avec ce handicap, pour ma part, d'avoir appris que j'étais et que j'avais un corps... (Vous comprenez le cercle vicieux ?) ! La femme qui ne se bat pas, n'existe pas en tant qu'individu mais uniquement comme représentante d'un modèle générique interchangeable par un modèle plus jeune.
Notre société est abusive en ce sens qu'elle use, abîme et restreint la femme souvent au seul sujet d'être un corps. Notre civilisation trouve son rythme dans des déterminismes culturels qui enchaînent et font souffrir, définition de l'aliénation. La femme est enfermée dans une soumission structurelle et culturelle. Il me semble qu'il est grand temps de regarder qui nous regarde. Qui juge que nous sommes "périmées". Même si la société a rendu nos yeux myopes. Nous devons nous émanciper du principe de vieillissement de la femme qui fait peur quand celui de l'homme fait rêver !
A quarante-quatre ans, je ne suis qu'une pauvre créature angoissée par le passage du temps. Le reflet du miroir ne me renvoie que la loi avérée de la gravité, d'ailleurs, j'évite les miroirs... Ainsi que mon visage vieillissant. En "évoluant" au sein de notre civilisation, avec les années, j'ai appris que le vieillissement est égale à la laideur et à la solitude. Le pouvoir de séduction n'est pas inaltérable, en conséquence je ne pourrai plus me cacher derrière. Est-ce là et seulement là que mon intelligence sera reconnue ? Je ne sais quel regard est le plus cruel. Le regard masculin sur mon corps vieillissant qui semblait pourtant, à une certaine époque, me conférer un certain pouvoir. Ou mon propre regard, qui m'interroge et scrute ma vie. La société ne pardonne pas aux femmes de vieillir, mais nous ? Arriverons-nous à nous le pardonner un jour ?
Merci à Ella d'avoir servi de modèle pour cette photo. Réflexion vers le futur projet : "De l'aube au crépuscule".
Très beau texte.... Inspirant.
Ma chère Stéphanie, ton texte dégage en moi un sentiment de compassion pour toi. Excuse-moi pour ce terme qui peut parfois être mal interprété ; dans ma bouche il est juste très objectif et amical. Je vais me livrer un peu, juste pour rebondir sur ton ressenti. J'ai eu 40 ans, il y a 20 ans. J'étais fière d'avoir cet âge, cette maturité, j'étais belle, bien foutue, je plaisais, j'en profitais. Je n'ai jamais été une femme très sage. C'était le plus bel âge. Mais je n'en avais certainement pas assez conscience. Puis, j'ai eu 50 ans. Je n'ai pas fait la différence, ni en me regardant, ni dans le regard des autres. J'ai toujours aimé mes ridules, puis mes…