Il paraît que l'oubli est nécessaire à l'Histoire... C'est pourquoi les viols commis pendant la Seconde Guerre mondiale et à la Libération par les militaires sont, soixante-dix-huit ans plus tard, toujours sous couvert d'une omerta. Rares sont les articles ou les documentaires qui s'y frottent. Le viol est relaté par les témoins, les victimes mais aussi par quelques historiens, toujours avec prudence, pudeur et euphémismes.
Les viols sont-ils le fait d'un soldat ? D'une armée ? D'un régime ? Est-ce l'assouvissement d'un désir sexuel, l'affirmation d'un pouvoir, la soumission d'une population, ou tout simplement l'anéantissement d'une communauté qui constitue le mobile ? Quelle définition donner au mot "consentement" quand le contexte de domination est triple, à savoir masculine, militaire et économique ? Le viol est une arme de guerre. Si on peut "comprendre" les atrocités de la guerre, quand elles sont perpétrées par nos libérateurs, ça devient plus compliqué. Des hommes aux actes glorieux venus délivrer des populations sont entrés dans l'Histoire en tant que héros quand certains d'entre eux ont violé des milliers de femmes, d'hommes, de personnes âgées et même d'enfants.
En premier exemple, prenons le cas un peu à part de l'Allemagne en 1945... Du mois d'avril à mai, environ 100 000 Allemandes sont violées dans la seule ville de Berlin. Au total, on dénombre environ 2 millions d'Allemandes violées de janvier à août 1945 sur l'ensemble du territoire allemand. Pour conséquence, 200 000 filles et femmes décèdent à cause de la propagation des maladies. Certaines sont violées jusqu'à 70 fois durant cette période ! Pour l'Armée Rouge, les soldats soviétiques, ces viols de masse sont le juste retour contre leur ennemi, l'Allemagne, qui a violé leur patrie en voulant les envahir. C'est assumé. Ce que l'on sait moins en revanche, c'est que des soldats Alliés - Américains, Britanniques et Français - en ont fait de même. On estime environ 190 000 viols pour les Américains, 50 000 pour les Français et 30 000 pour les Britanniques. C'est le plus grand "incident" de viols de masse de l'Histoire...
Continuons avec l'Italie. Le 11 mai 1944, l'Armée de la Libération (le CFE) qui est une troupe française sous le commandement du Maréchal Juin, remporte la bataille du Monte Cassino. La Wehrmacht est en défaite totale et Rome reprise quelques semaines plus tard. Du 15 mai au début juillet 1944, les tricolores violent des milliers de femmes, d'hommes, de personnes âgées et d'enfants. L'Armée de libérateurs règne en maître sur les civils de 8 à 72 ans, qui sont le butin de cette guerre. Le Commandant français entretient clairement l'esprit de revanche des troupes à l'égard des traîtres italiens. Pourtant, le Maréchal Juin deviendra un des plus grands héros militaires de la Seconde Guerre mondiale. Bien entendu, aujourd'hui, le nombre de viols commis par le CFE durant cette période fait débat. Les estimations vont de 200 viols (reconnus, c'est le nombre de condamnations par les tribunaux militaires), à environ 12 000 (2000 pour le gouvernement italien et 1488 reconnus par le gouvernement français qui a accepté d'indemniser les victimes sauf que, c'est Rome qui a payé!), et jusqu'à environ 60 000 (d'après les associations). Soixante-dix-huit ans plus tard, la France ne s'est toujours pas excusée, pourtant les familles des victimes n'oublient pas.
Pour ce qui concerne la France, les viols durant l'Occupation Allemande sont impossibles à chiffrer car ils sont la grande inconnue de la Seconde Guerre mondiale. Du reste la définition juridique française du viol jusqu'en 1980 fait froid dans le dos... Seul un homme peut violer et cela ne concerne que les actes hors mariage. L'absence de consentement doit se manifester par résistance et être énoncée clairement par la négative. Le coït n'est pas avéré en cas de pénétration anale ou digitale. Dans un tel cas, l'acte est requalifié de tentative de viol... Le viol devient honteux pour les victimes et n'est pas qualifié formellement de crime de guerre à la libération. Voilà comment on fabrique l'amnésie nationale du viol pour arriver sur un déni en tant que crime de guerre.
Durant l'Occupation, le viol est une démonstration en force de conquête et de prise de pouvoir. Les violences sexuelles servent à entretenir une forme de terreur et sont intégrés aux actes de tortures dont le but est l'avilissement. C'est clairement une arme en temps de guerre. Pourtant, aucun des accusés du procès de Nuremberg, ni aucun des criminels de guerre allemands déférés devant les tribunaux militaires français pour des actes commis contre des français ne sont entâchés d'une condamnation au motif de viol.
A la libération, on estime environ que 3500 viols sont commis par des GI's. Les causes sont multiples: brutalisation engendrée par l'expérience de la guerre, l'alcool, le port d'une arme de combat, contribuent à faire des françaises des proies faciles et vulnérables aux agressions sexuelles. Pour parer à la dégradation de l'image des soldats américains, le commandement américain organise quelques jugements, essentiellement de GI's afro-américains, on invite même les victimes aux quelques exécutions. Mais, quand le GI's rentre au pays, le problème passe sous silence, tant et si bien qu'encore aujourd'hui cette réalité est omise. Les combattants de la Seconde Guerre mondiale sont des héros, et font l'objet d'un culte sans limite.
En Réalité, le nombre de viols est impossible à définir car toutes les victimes ne se font pas connaître que ce soit en période d'Occupation ou de Libération, pour de multiples raisons évidentes. Pour n'en citer que l'une d'entre elles, les violences sexuelles ont la particularité de rejeter la honte sur la victime plutôt que sur le coupable. A toutes ces femmes victimes sans être mortes, blessées sans que cela ne soit visible, on impose la loi du silence pour éviter la propagation de la honte. La honte d'une nation, d'une société, d'une communauté, d'une famille qui n'est pas capable de protéger ses femmes. Le viol c'est la puissance d'un bourreau qui ramène à l'impuissance de l'occupé, ainsi qu'une façon de renvoyer la femme à son corps et à sa condition. Ne pouvant dénombrer les viols, ils disparaissent du souvenir partagé de la guerre et de la libération car il est ainsi impossible d'en rendre une ampleur nationale.
Tous ces viols, commis par les Alliés, quels qu'ils soient, sont connus. Toutefois, au nom d'une amnésie collective pour une gloire, les Alliés restent auréolés d'un prestige immaculé d'avoir vaincu la Barbarie Nazie... L'honneur est sauf, tant que les victimes restent dans l'oubli. Vertiges d'une folie humaine...
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