Depuis toujours je suis dévorée par une ambition, mais qu'est-ce que l'ambition sinon quelque chose de vague et d'indéfini ? Au lieu de réussir ma vie, aujourd'hui à presque quarante-six ans, j'ai bien peur de l'avoir ratée dans une existence vaine et futile. Les modèles féminins avec lesquels j'ai grandi ce sont rapidement trouvés être des exemples de ce que je ne voulais pas devenir, ma mère pour premier exemple. J'ai un profond amour qui frise la dévotion pour elle, comme une reconnaissance profonde, pourtant rien a jamais été facile avec elle, et ce depuis toujours. Ma mère est l'inverse de la femme indépendante, instruite ou cultivée. Ma mère est une femme dépressive, alcoolique, agressive, violente dans ses mots et son propos, quand j'étais petite dans ses gestes aussi. Ma mère est une femme en colère. Quelle mère traite sa fille de pute à six ans ? C'est une réalité, grandir dans cette violence verbale m'a fait rencontrer des hommes violents verbalement et pas que... Mais le plus triste c'est que je porte cette violence en moi. Une violence qui ressort de temps en temps, malheureusement, que je ne contrôle pas dès que j'ai mal. C'est très dur ce que je vais dire mais pour moi, ma mère est une "beauf", c'est terrible. J'ai vu ma mère détester mon père tout en restant à ses côtés. L'ambivalence du sentiment ancré dans le cocon familial est d'une violence inégalable pour une construction de soi et pour un avenir normal. J'ai moi-même cru pendant très longtemps que l'on ne m'aimait pas si on ne me faisait pas du mal. Ce qui m'a poussée à aller vers des hommes qui me faisaient du mal. A contrario, lorsque je tombais sur un homme bien, gentil, je ne savais presque pas réagir face à cet amour inconnu. J'aime ma mère, du plus profond de mon coeur, et j'ai vécu cette relation destructrice avec ma mère, ambivalente, dans laquelle nous nous aimions par les liens du sang tout en nous détestant chacune pour nos raisons propres. Dieu que ça fait mal. Avec ma mère, j'ai eu une vision ambigüe du rôle de la femme, complètement dépendante, dévouée, irréprochable dans son rôle de femme au foyer en tant que ménagère... Comme ma mère, je suis dévouée en amour jusqu'à ce que... En revanche, à l'inverse de ma mère je nourris une passion pour l'indépendance, (indépendance financière, de décisions, d'actions, de pensées, ...). En revanche, comme personne je suis une dépendante affective. Toutes ces ambiguïtés avec lesquelles j'ai grandi ont donné naissance à une incohérence basée sur la dépendance affective. J'aime aimer et j'aime être aimée, mais je n'aime pas que l'amour m'enchaîne tout en voulant enchaîner l'amour... Ça ne va pas du tout ensemble tout ça ! C'est même du grand n'importe quoi !
Je n'aime pas être limitée, et pourtant je ne sais pas jouir de ma liberté ! Chercher à se réaliser lorsqu'on est femme n'est toujours pas simple aujourd'hui, surtout lorsqu'on a connu les stéréotypes des années quatre-vingt. C'était quoi la femme dans ces années-là ? Une Sophie Favier ? Une Lova Moore ? Deux femmes connues pour leur grande beauté. Sophie Favier moquée pour son petit cheveux sur la langue, doublée de cette impression de stupidité qu'on a voulu lui coller à la peau. Sophie Marceau ? Connue pour sa beauté aussi. Les années quatre-vingt c'est Benny Hill, Colaro Coco Show, Samantha Fox ou Sabrina en passant par Lio... Conclusion, pour réussir il faut être belle. Si en plus tu es intelligente et bien c'est merveilleux mais ne le dis surtout pas trop fort, sert-en juste pour sortir du lot. Voilà ce que l'on attendait de moi. Même si j'ai été élevée pour être indépendante d'une certaine manière, libre de mes mouvements, de mes choix... Comment se réaliser alors ? Certaines ont quand même réussi, mais pas moi. Au final je ne suis que le fruit d'une société.
Je n'ai jamais voulu m'intégrer à la société. J'ai toujours voulu être à part, me démarquer. J'ai toujours rejeté la normalité que je considère comme l'ennui mortel de la vie. J'ai toujours voulu être autre chose que bannale. D'ailleurs n'être que ou être bannale, je crois que c'est ce qui me fait le plus peur. Et pourtant, j'ai toujours travaillé à rendre ma vie acceptable aux yeux des autres, même si j'ai eu une période de ma vie très provocatrice par mes actes. Je voulais être une révolutionnaire et puis je me suis embourgeoisée... Je voulais être connue et puis je ne suis rien. Je voulais qu'on se souvienne de moi, laisser une trace et je n'ai même pas d'enfant, (première trace qu'on laisse en réalité, les enfants font vivre votre souvenir une fois que vous quittez cette vie). Je ne voulais pas faire bien aux yeux des autres, je voulais être mieux... Encore un échec. Toutes ces ambitions auraient pu être transformées en une énergie positive, et parfois ça a été le cas. Mais le vrai chemin que j'ai parcouru c'est celui de réussir à faire croire à l'extérieur que les blessures de l'intérieur sont réparées. Malgré tout cela, j'ai été protégée des violences extérieures au sein de mon foyer, et l'ambiguïté la plus meurtrière de l'histoire c'est qu'au milieu de toute cette violence régnait une forme d'amour. Ce serait mentir que de dire que je n'ai pas été aimée. Malgré mon parcours, malgré mes études, mes lectures, mon goût pour la liberté et l'indépendance, je n'ai pas su me rendre libre de ma prison mentale. Je n'ai pas su me forger des certitudes assez fortes et sécurisantes. Je n'ai pas été capable d'être suffisamment exigeante envers moi-même pour créer une image d'amour sécurisante. Je n'ai qu'une certitude, les expériences de l'enfance donnent des directions à ce que nous voulons être ou faire. C'est avec nos expériences de l'enfance que nous choisissons le rôle ou la place que nous nous donnons ou pas. Sont à identifier le degré de séduction, le degré de volonté d'impressionner, le degré d'humiliation ressenti, etc.
Pour ma part, tout se traduit dans la valeur que l'on veut bien me donner ou m'accorder. J'ai longtemps cherché à mesurer la valeur de ma beauté par différents moyens. J'ai réussi à faire illusion un temps, oui mais voilà, le temps passe... En amour, je suis une véritable tortionnaire avec ça et je me fais vraiment du mal pour pas grand chose en sautant sur la moindre parole, que je provoque même parfois. Un mec c'est quand même un peu con pour ça parce que ça tombe tellement facilement dans le pîège ! Je ne pardonne pas la moindre petite parole blessante ou vexante. Là-dedans réside ma peur du rejet, ma peur de déplaire, ma peur de décevoir... En amour, j'exige d'être l'élue et non pas le plan B. Ce qui me fait osciller entre une idéalisation d'un moi inatteignable décevant, et une toute puissance face à ce que je pense devoir être mais que je ne parviens pas à être, déception encore. A partir de là, j'entre dans une diabolisation de moi-même par mon impuissance à atteindre mes objectifs. Dans ces moments-là, je ne me reconnais pas et un mécanisme se met en route dans lequel les maîtres mots sont complexités et imperfections. Du coup qui haïr le plus ? Moi, l'être imparfait ou la personne qui met le doigt sur cette perfection que je suis incapable d'atteindre ? C'est un vrai problème en réalité qui vous montre superficielle aux yeux de biens des gens... La douleur de ne pas être prise au sérieux dans ce mal être totalement réel, de se sentir inutile sur cette terre et inintéressante... Ce sont chaque fois des traumatismes qui viennent nourrir ces anciens traumatismes, le serpent se mord la queue et le diable dansera sur ma tombe !
Voilà comment on s'enferme dans sa propre prison. Les obstacles à surmonter pour faire sa place : être respectée, entendue, reconnue deviennent des obstacles intérieurs infranchissables à la moindre trace de rejet des autres. Je dois me battre pour tout en fait. Je dois me battre pour m'imposer, exister, pour que l'on ne me juge pas superficielle, pour que l'on reconnaisse mon intelligence, ma culture, mon travail, ma volonté, mes réussites, pour être aimée, appréciée, me battre pour changer le jugement des autres, leurs regards... Oui mais voilà, vingt-cinq ans que je me bats. Les guerres, les batailles fatiguent et usent... Probablement que durant toute ma vie je me suis trompée de combat. Aujourd'hui je m'en rends compte. Probablement que le premier combat à mener aurait dû être interne. J'ai préféré mener un combat différent et "prouver"... Prouver que je pouvais être... Pour au final n'être pas. Je n'ai pas su guérir de la violence vécue, enfant, adolescente, avec mon premier compagnon, etc. J'ai appris la violence et je reproduis la violence de manière différente, mais je la reproduis. Je me maltraite en permanence à l'abri des regards. Je me conforme à ce que l'on a attendu de moi, à ce que l'on a toujours dit de moi, je me détourne de moi-même, je me crois en danger lorsque je suis spontannée, lorsque je suis moi dans toute ma singularité... Alors, je me coupe des autres. Ces autres qui représentent le danger. Et le passé finit par déterminer le présent. Ces gens qui me jugent et me critiquent, ce que je vis comme une grande violence, me renvoient au fait que je me juge moi-même. Retombant dans mes travers, c'est ainsi que je suis dépendante en paradoxe du regard des autres, avec la peur du jugement, tout en voulant être jugée, sachant que j'aurais mal... Je suis consciente de mes peurs, de mes failles pourtant je reste manipulée par les monstres et les fantômes de mon passé m'interdisant ainsi l'amour de moi-même. La remise en question, toujours...
Fillette, j'inventais des histoires et depuis toujours je me suis montrée créative sans aucune peur des risques de l'échec. Cette petite fille vit toujours en moi à travers la photographie, ma seule joie, mon seul bonheur. Chaque ambition est pour moi l'occasion de me couper les ailes. Les blessures je les ai acceptées, par contre, je leurs refuse la guérison ce qui m'empêche d'être bienveillante à mon égard. Pour conséquence, je n'incarne pas mes désirs et je réagis avec virulence et colère, parfois même haine, aux critiques, aux jugements, aux humiliations... Suis-je devenue cette femme que je ne voulais pas devenir ? Je ne sais pas, je sais juste que je voulais être et que je ne suis pas...
Stéphanie, ta confession est d'une grandeur d'âme. Il y a peu d'être qui aurait le courage de se dévoiler. Je t'ai croisé a Veigné l'année dernière et il est vrai que tu es une femme explosive, sensuelle, briante... Un peu comme tes œuvres photographiques. Tu as une chance de pouvoir t'exprimer et nous livrer ta profonde personne. Surtout ne le regrette pas, je fais parti des hommes qui te respectent. La vie est pleine de ressources, nous avons tous nos terribles blessures... Tu dois maintenant accepter ton parcours, ton être, la femme que tu est et continuer à te battre. La seule chose, maintenant,est que tu n'est plus seule a supporter cette réalité ! Soit toi, et laisse les gens…